Tapie, les modes alternatifs de résolution des litiges à l’index

Tapie, les modes alternatifs de résolution des litiges à l’index

Un député, Charles de Courson, est devenu l’un des pourfendeurs de l’arbitrage, en tant que mode alternatif de résolution des litiges. Il a pour cible celui qui est intervenu dans l’affaire Tapie, avec une sortie de caisse de l’État  de quasiment 400 millions €, avec 40 millions d’€ pour un préjudice moral au bénéfice des époux Tapie.  Mais avec l’arbitrage, la médiation promue par l’Europe dans le milieu des affaires commerciales pourrait être mise dans le même sac. En effet, Christine Lagarde, avocate en poste de ministre, mise en cause dans cette affaire, a reçu un prix de la médiation par l’association des médiateurs européens créée et tenue par des avocats du barreau de Paris.

Un arbitrage contesté avant et après coût…

On se rappelle que Bernard Tapie a plus plaidé sa cause devant les média que ses avocats devant les tribunaux. L’affaire était juteuse. Le verbe était haut. Les plaintes semblaient terribles. Les dommages épouvantables. Les préjudices incalculables. Tout cela pour une seule personne coincée une fois de manière tapageuse, avec à son actif, une démission d’un poste ministériel, et un mensonge en bande organisée. Dans un imbroglio savamment orchestré, l’affaire Tapie ne faisait que continuer. Elle s’embourbe désormais au détriment des contribuables.

Une décennie d’affrontement judiciaire, de médiation (cf. le très arrangeant feu Jean-François Burgelin) et de nouvelles propositions de médiation par le président de la république : “En 1993, alors qu’il était ministre du Budget, Sarkozy avait accordé à Tapie l’étalement des dettes de l’Olympique de Marseille sur plusieurs années. En 2004, alors ministre de l’Économie, il avait pris le contre-pied de ses prédécesseurs en acceptant une médiation, finalement infructueuse, entre l’État et Tapie dans l’affaire Adidas. En juillet dernier, c’est le chef de l’État en personne qui aurait sommé Bercy d’entériner la sentence d’arbitrage attribuant 400 millions d’euros à Tapie. “ (Source Capital du 28 nov. 2008).

Coup de théâtre avec l’interruption des procédures en cours, qui mettaient Bernard Tapie en très mauvaise posture par rapport à ses réclamations, et le recours à un collège arbitral. L’idée est sortie juste avant le tocsin. Les fantasmes financiers de Bernard Tapie se sont vus réalisés grâce à un jury d’apparence légale, en application de l’article 1460 du CPC. Une légalité contestée après coup par la Cour des comptes. Mais sans Christine Lagarde – et d’aucun soupçonne que cette décision ne peut revenir qu’à un autre avocat, Nicolas Sarkozy, actuel président de la république – il n’aurait pas pu être mis en place.

L’arbitrage, vite fait

Mais comment ce collège d’arbitres a-t-il pu se substituer aux juges ? La chose est simple. Dans les affaires civiles et commerciales, il suffit que les parties prévoient une clause dans leur contrat, ou se mettent d’accord après, même en cour de procès. Dans l’affaire Tapie, l’accord a été imposé d’en haut, juste avant que les décisions finales mettent un terme aux revendications mirobolantes. Et le système judiciaire républicain a été évincé de l’affaire.

Que faut-il en penser ? Dans la réalité juridique, le principe de liberté s’applique comme en médiation. Les parties sont libres de la manière dont elles choisissent de résoudre leur différend, soit à l’amiable, soit de manière privée, soit en faisant appel au système judiciaire. Pour une médiation, les parties sont libres de choisir leur médiateur. Et en l’occurrence pour un arbitrage, les parties sont libres de choisir les membres du jury. Il en faut trois. Chacune en propose un et les deux arbitres désignés choisissent le troisième. Trois arbitres ont composé le collège arbitrale de cette affaire : Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Denis Bredin, avocat et Pierre Estoup, magistrat, auteur notamment de quelques brochures juridiques et de décisions arbitrales.

Le dernier personnage de ce collège apparaît moins célèbre. De source Mediapart, il bénéficie d’une reconnaissance peu honorable de la part de quelques pairs. La citation suivante, extraite d’un jugement rendu par Michel Desplan le 23 novembre 2003, concerne son intervention d’arbitre dans l’affaire ELF : «En fait cet arbitrage, réalisé dans d’étranges conditions (…) n’a aucune valeur probante aux yeux du tribunal.».

La rémunération des arbitres

Dans la rigueur juridique, et pour une affaire mêlant les intérêts des citoyens à des intérêts privés, il aurait été possible – et les juristes de cette affaire ne peuvent l’ignorer – de demander aux juges de statuer en amiable composition, au titre de l’article 12 du CPC. Dans ce cas, la rémunération des arbitres auraient été celle des juges. Dans l’affaire de l’arbitrage Tapie, les trois arbitres ont perçus chacun quelques 300 000 €. L’enveloppe revient de fait à la charge du contribuable, et s’élève au bas mot à 900 000 €. Le choix du recours à des juges privés n’a de toute évidence pas été innocent. Un magistrat qui aurait appliqué l’article 12 du CPC n’aurait pas pu réclamer une somme quelconque pour son intervention arbitrale.

L’arbitrage, circonstances et intérêts

La mise en place de ce système est en effet possible. Dans les affaires commerciales, l’intérêt est double : la discrétion et la rapidité de l’arbitrage. Pour la discrétion, il faut repasser. Mais pour ce qui est de la célérité… Jamais affaire n’aura été aussi vite emballée pour faire payer l’État.

Pour être mis en place, toutes les parties doivent être d’accord (art.1447 du CPC). Si l’une des parties avait fait défaut, alors le tribunal arbitral n’aurait pas pu être mis en place. L’accord des parties pour qu’un arbitrage privé soit mis en place conduit à rendre les juridictions étatiques, même si elles sont saisies de l’affaire, incompétentes au sens de l’article 1458 du CPC. Seules des personnes physiques peuvent, en application des articles 1451 et 1453 du CPC, composer le collège arbitral.

Un point reste obscur est l’absence de la représentation directe de l’État, lequel est devenu le payeur. Les lettres attestent pourtant que Christine Lagarde a influencé les décisions. Si les choix ont été faits au nom des risques financiers, alors il conviendrait de les prouver autrement qu’en brandissant des milliards d’euro, témoignant plus de l’incompétence des gestionnaires de l’État que de leur sens de la prévision. Si les honoraires des avocats ont coûté une dizaine de millions d’euros, l’incompétence semble avérée. Mme Lagarde et ses prédécesseurs ne pouvaient ignorer que l’arbitrage – comme la médiation – est prévu par les textes.

La sentence arbitrale

Dans l’affaire Tapie, l’indemnisation pourrait figurer au Guinness des records. Résultats : la bagatelle de 285 millions – oui – 285 millions d’euros, qui montent la somme à 400 millions avec les intérêts, et 40 millions au titre de préjudice moral, le tout à payer par l’Etat dans les plus brefs délais. C’est fait. Empoché. Le magot est déjà placé ailleurs. L’affaire aurait pu être classée. Mais des députés et quelques citoyens ont la dent dure. A leur tête, Charles de Courson, qui a engagé des actions devant le tribunal administratif pour contester à la fois l’arbitrage et la décision arbitrale. C’est désormais neuf députés qui ont engagé un recours auprès du procureur près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal.

En réplique Christine Lagarde menace les députés de poursuites judiciaires. Ce comportement apparaît de la même nature que les dénégations de Michèle Alliot-Marie confrontée à ses relations et transactions tunisiennes. Puisque la ministre-avocate a tant fait confiance dans l’arbitrage pour une affaire aux enjeux difficilement imaginables par la quasi totalité des citoyens, ne pourrait-elle là, pour une affaire de simple querelle verbal faire appel à la médiation ?

A quand la médiation préalable obligatoire avant tout usage intempestif du système judiciaire ?

Dans un interview au Nouvel Observateur, Charles de Courson indique que si les mises en causes en cours étaient confirmées, seul le recours à l’arbitrage par le Consortium de réalisation serait mis en cause, pas les indemnisations. L’affaire n’a pas fini de porter atteinte à l’image des MARC qui ont pourtant du mal à se lancer dans le grand public.

Les médiateurs vont devoir savoir tirer leur épingle de ce jeu. Contrairement au modèle avancé, ils vont devoir témoigner d’autant de probité, d’indépendance, d’impartialité et de neutralité.

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