Entre les idéologies de la justice et la philosophie de la médiation
Idéologie encore
Lisons ces deux segments de phrases :
- Lorsqu’un individu lambda se décide à saisir la justice…
- Lorsqu’un citoyen fait appel au système judiciaire…
Est-ce la même chose ? L’expression « individu lambda » équivaut-elle au statut de « citoyen » et le terme de « justice » équivaut-il à l’expression « système judicaire » ?
Idéologie bien sûr
Ce n’est pas simple de se défaire de ses croyances individuelles et pour une civilisation entière de se défaire de ses mythes. Le discours sur la justice est non seulement une idéologie mais un leurre spiritualiste provenant de l’entretien d’un mythe lié à l’exercice d’une bienveillante autorité transcendantale. Alors au lieu de cela, face à toute proposition de progrès, on vient dénoncer une utopie. La médiation professionnelle serait une utopie, le droit à la médiation serait une utopie, l’amiabilisation des différends exposés en justice serait une utopie. Pourquoi risquer s’attaquer de la cave au grenier à nos a priori ? Ayant animé pendant des années des cercles de créativité dans les entreprises, c’était la première chose à laquelle j’invitais les participants pour un résultat toujours opérationnel.
Il n’existe pas d’individu lambda en matière de judiciarisation. C’est une mystification sociologique. Le siècle dernier a été porteur de la consécration de la popularisation de « l’individu moyen ». Par affection latine, il en ressort souvent « lambda ». Les pourcentages alimentent le baratin.
Idéologie toujours
Jadis, on pouvait reprocher aux personnes de ne rien comprendre ; on pouvait fataliser sur la servilité : l’instruction obligatoire n’existait pas. On pouvait manipulait l’ignorance d’autant plus aisément qu’elle se roulait dans la crédulité. En offrant le droit à l’instruction, avec l’instruction obligatoire, on a étendu l’exercice de la liberté. Certes, la crédulité existe encore et c’est là que certains manipulent à l’envi les bonnes gens. Le droit d’apprendre les fondamentaux des connaissances humaines, d’y avoir accès, a connu de nombreux adversaires. La dictature napoléonienne, si adulée par un grand nombre, a participé à sa régression. Les systèmes autoritaires font toujours leurs choux gras de l’étendue abyssale de l’ignorance humaine laquelle, grâce à nos aïeux, s’est réduite. Néanmoins, la servitude exerce sur beaucoup de personnes une attraction au nom des autres, et c’est ainsi que les systèmes autoritaires sont légitimés.
Ainsi, Jean-Philippe, qui me faites le plaisir d’être mon contradicteur sur le forum d’AGORAVOX, vous faites partie de ces promoteurs posés d’un système protecteur des représentations au service de la servitude humaine. Pourquoi pas ? Qu’est-ce qu’on a à faire des droits des autres, alors que ceux dont on dispose nous satisfont ? Qu’est-ce qu’on a à faire de l’illettrisme et de la famine, tandis qu’on sait lire et qu’on a les moyens de réveillonner tous les jours ?
Vous dites : la « justice française est en mauvais état … l’Etat n’a plus les moyens … les juridictions de proximité n’existent plus mais continuent de fonctionner… preuve de la dégradation … » et la médiation serait un moyen qu’on viendrait « fourguer ».
Ce que nous pouvons constater c’est que ce qui conduit les personnes au système judiciaire, c’est comme vous le dites : le même manque d’imagination dont vous faites preuve au nom de tout le monde. On va au juge quand on ne sait plus faire autrement. On a recours à un tiers contraignant quand on a atteint ses propres limites. Quand un conflit est résolu, ce que j’entends de la part des anciens protagonistes, c’est « Si j’avais su ! », ce qui témoigne avec constance d’une conscience rétrospective des conséquences de cette regrettable ignorance. Les « médiateurs professionnels » interagissent là. Ils apportent des moyens de connaissance, de réflexion et de décision. Vous, lorsque vous arrivez au taquet de votre imagination, vous supposez que les autres doivent y arriver aussi. C’est alors que vous justifiez le recours au système de substitution, avec ses voies privatives de la libre décision ; et c’est alors que je vous dis « Aidons les citoyens à réfléchir pour qu’ils préservent leur libre arbitre. ».
Notez bien que la discussion tourne autour de l’idée que vous vous faites de l’individu lambda et que je me fais de cette personne citoyenne empêtrée dans une relation conflictuelle.
L’utopie que vous mettez à l’index est un processus de créativité très performant appliqué aux relations conflictuelles. Le « médiateur professionnel » que vous rejetez est un tiers formé à la conduite d’un processus d’aide à la réflexion et de décision. C’est ainsi que vous trouvez d’autres idées pour démêler ce que vous avez déclaré « positions inconciliables ».
Une chose encore
Laisser entendre que je suis le porteur d’une parole gouvernementale, en indiquant que « l’Etat fait de la diversion … et que cet article en fait partie », c’est m’attribuer une position que je n’ai pas. Je n’ai pas l’oreille de Christiane Taubira ni d’un(e) autre. Je ne fais partie d’aucun programme. En 2012, notre organisation a proposé la création d’un ministère de la médiation, parce que nous constatons que ça serait opportun au moins pour y voir plus clair et mettre en place une concertation nationale sur ce sujet ; elle porte le projet très intéressant du droit à la médiation auquel vous vous opposez, comme d’autres l’ont fait contre le droit à l’éducation.
Philosophie enfin
La « médiation professionnelle » ne peut exister que s’il y a un Etat de droit, un système judiciaire affirmé, des juges ayant les moyens de leur position affirmée. Cette médiation est l’ultime recours pour préserver la libre décision. Au delà, c’est le juge qui doit avoir les moyens de trancher.
Maintenant, il nous faut convaincre. Face aux idéologies qui participent à l’animation des débats, un peu de philosophie. C’est vrai qu’il y a des expérimentations et que nous progressons en audience. C’est un travail très intéressant et c’est aussi la raison pour laquelle je prends le temps de lire attentivement le sens de vos objections et de vous répondre. En tout cas, vous aurez retenu que je m’inscris dans la lignée de la revendication de l’exercice de la liberté citoyenne et c’est de celle-là qu’il s’agit bien plus que d’une préoccupation de finances de l’Etat. Que trouver à redire si opportunément l’une rencontre l’autre, sinon que nous marchons vers la réalisation de cette utopie, laquelle ne peut que chagriner les autoritaires et réjouir les citoyens.
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