Le juge peut-il être médiateur ? Quelle cohérence ?
Ces derniers jours, j’ai eu un peu à faire concernant la question de la “profession de médiateur” qui tend à être dénigrée par des professions qui exercent sur les litiges. Sur une publication diffusée par abonnement, LalettreA, qui se revendique la lettre de tous les pouvoirs (9 avril 2015), je suis présenté comme l’adversaire de la médiation sous contrôle des professions juridiques. Je n’ai pas eu mon mot à dire : personne ne m’a interviewé. J’ai contesté le contenu, mais seule les erreurs flagrantes ont été corrigées (sigles et fonctions qui étaient erronés).
Il est quasi vain que je rappelle que je ne suis pas adversaire du droit, et qu’au contraire, je pense qu’il faut que les pouvoirs des juges soient renforcés pour permettre à la médiation dans le contexte judiciaire de bénéficier de meilleures conditions d’exercice. Je suis seulement pour le développement de la médiation professionnelle, indépendante, neutre, impartiale, pratiquée par une profession cohérente dans son positionnement sociétal.
C’est clair que la naissance d’une profession est susceptible de déranger. Dans le domaine des conflits, il semble évident que chercher à faire une place importante pour cette profession n’est pas bien vu. De là à dénigrer systématiquement, c’est … bon d’accord, c’est le jeu habituel des mécontents.
Qui se considère “médiateur” aujourd’hui ?
Les réponses pleuvent avec autant de revendications de légitimité naturelle. On se sent médiateur dès lors qu’on a un peu de bonne volonté. Et comme on pense en être mieux doté que tous, on se sent quasiment tous médiateurs. Descartes y aurait vu une parenté avec cette raison que Pascal a dévoyée. Tous ceux qui ont un peu de temps et des bonnes intentions, quitte quand même à en tirer quelque rémunération, se sentent “médiateur naturel”. On retrouve un grand nombre de candidats à la quête de reconnaissance par la psychologie familiale, du travail, du social, de l’intime. Mais dans la pratique contentieuse, des fonctionnaires, des avocats, des magistrats, des huissiers, des notaires se revendiquent aussi médiateur, avec cette bonhomie de notable qu’il conviendrait de ne pas contrarier.
Que les choses soient claires : les médiateurs professionnels travaillent depuis le commencement de leur développement avec des avocats. L’école professionnelle de la médiation et de la négociation – EPMN – à Bordeaux, Lyon, Paris, et dans les Caraïbes et aussi en Afrique – forme des avocats, des notaires, des huissiers, des juges. Mais le fait de se familiariser avec la médiation professionnelle fait-elle un médiateur professionnel ?
Le juge médiateur
Concernant le juge, certains viennent défendre que celui-ci pourrait faire médiateur. Juridiquement, c’est possible. Mais il ne s’agit pas de s’en tenir à l’esprit de la loi, il s’agit de s’assurer qu’il n’y a pas de contradiction, de paradoxe, d’aberration à mêler les deux rôles.
Allez, je prends une affaire qui oppose deux voisins, pour une question de bornage. Admettons que cette affaire vienne devant le juge. Le juge rend une décision. Appel, pas appel, peu importe. La décision est rendue et supposée s’imposer aux deux parties. Voici deux personnes, l’une gagnante, l’autre perdante ou les deux renvoyée dos-à-dos, soumises à la décision. Maintenant, admettons que cette affaire n’ait pas été envoyée devant un juge, et qu’elle ait fait l’objet d’une médiation. Admettons même que l’accord adopté par les protagonistes contienne les mêmes dispositions que la décision judiciaire. Quelle est la différence ? Oui, certes, on aura gagné du temps, oui certes, l’Etat aura fait des économies, oui certes, les parties n’auront pas eu des frais de justice et peut-être d’avocats. Certes. Mais la différence dans l’exercice de la citoyenneté n’est-elle pas plus intéressante en ce que les parties ont pu avoir une extension de leur liberté de décision ? C’est là tout l’intérêt de la médiation professionnelle, de la médiation obligatoire, du droit à la médiation. L’enjeu se situe non pas sur le terrain financier, économique ou d’Etat, tout cela doit être vu comme ça l’est, secondaire. Parce que la chose la plus importante est la progression sociale de la liberté et ce qu’elle apporte non pas à l’idée illusoire d’une civilisation mais à la démarche évolutive de l’humanité.
Alors quoi ? Revenons à l’intervention du tiers.
Comment le juge peut-il trancher s’il sait pertinemment que les parties pourraient trouver un accord si elles venaient devant lui en tant que médiateur ? Curieuse posture intérieure.
Qu’est-ce qui change quand le juge est formé à la médiation professionnelle ? S’il est formé à la médiation (j’ai bien écrit “médiation” et non “médiation professionnelle), rien ne change : il exerce en tant que juge et il croit qu’il est médiateur. Mais s’il est formé à la “médiation professionnelle”, il sait qu’il peut enjoindre les parties d’aller en médiation et le faire avec force. Il leur recommande de s’impliquer dans le processus plutôt que chercher à le fuir. Il fait cela systématiquement parce qu’il sait que le conflit est chargé de contraintes et que l’autorité exercée est une contribution à l’exercice de la libre décision et non une contrainte réelle, de même que l’obligation d’éducation.
Le juge formé à la médiation professionnelle est aussi mieux outillé pour mettre en pratique sa mission de conciliation qu’il préfère au jugement. Il sait que les parties d’un différend plongent facilement dans l’adversité, bien plus par ignorance de savoir faire autrement que par une volonté délibérée. Il en connaît l’instrumentation et probablement aspire à la pratiquer.
Lorsqu’en dernier recours, le juge est amené à trancher, il peut oser indiquer dans sa décision que les parties peuvent encore trouver un accord en se faisant aider d’un médiateur professionnel, mais qu’à défaut, c’est sa décision qui s’impose regrettablement.
Et le juge formé à la médiation professionnelle sait aussi que cette discipline n’est pas une pratique réservée au judiciaire, qu’elle est totalement extérieure à l’idée de justice, puisqu’elle se fonde sur la recherche sur ce qui favorise les relations, la qualité relationnelle, le mieux vivre ensemble. Ainsi, il est illusoire de chercher à judiciariser la médiation professionnelle. S’il y a médiation judiciarisée, comme tend à le faire la commission de Taubira, elle sera une médiation se servitude non de libre décision.
Mais c’est vrai aussi que des personnes, juges ou pas, formées à la médiation professionnelle perte de leur posture et de leur exigence en n’entretenant pas leurs acquis et en bricolant au lieu de continuer à se former à la rigueur.
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