Karpman, un triangle qui joue de fausses notes relationnelles depuis trop longtemps

Karpman, un triangle qui joue de fausses notes relationnelles depuis trop longtemps

Après avoir déconstruit la pyramide de Maslow comme mythe psychosociologique issu d’un schéma hiérarchique figé, j’ouvre un nouveau chantier critique : le triangle dramatique de Karpman.

Maslow et Karpman ont imposé des repères. L’un comme l’autre sont devenus des références internalisées, enseignées, rarement questionnées. Ils séduisent par leur simplicité. Ils frappent par leur pouvoir narratif. Pourtant, ces modèles relèvent de la fiction intellectuelle. Mais ils enferment la pensée dans des schémas figés.

Le triangle dramatique articule les rôles de Victime, Persécuteur et Sauveur. Il fige, suspecte, enferme. Il a assigné des millions d’individus à des postures aussi théâtrales que toxiques.

Je vous propose d’en sortir. Je vous invite à repenser nos modèles. L’idée est de passer d’un imaginaire interprétatif à une logique d’ajustement. C’est possible de préférer la co-régulation vivante, en toute objectivité, à la répétition pathologique, qui reste une violente subjectivité sociale et interpersonnelle.

Sortir du triangle dramatique : au-delà du modèle victimaire

Introduction

Depuis les années 1990, le triangle dramatique a connu une diffusion massive en France. Il s’est imposé dans les milieux des risques psychosociaux (RPS) et de la prévention du harcèlement moral. Karpman s’inspire des contes et des scénarios quotidiens pour proposer une lecture simple des conflits : trois rôles récurrents, trois postures liées à des déséquilibres psychiques. Le modèle n’est pas nécessairement pathologique à l’origine. Mais il est lié à l’environnement où l’idée est de soigner le mental des individus et il s’inscrit dans la tradition culpabilisante de la psychologie occidentale. La culture psy dominante l’a figé. L’appropriation populaire et le modèle de pensée juridique l’a instrumentalisé et versé dans la moralisation.

Ce triangle date de la même période que le modèle triangulaire de René Girard, avec le désir mimétique. L’auteur de Mensonge romantique et Vérité romanesque et de La Violence et le Sacré, conduit à la révélation ou au sacrifice. Comme Karpman, Girard pense la relation comme soumission à une force.

Ce déterminisme relationnel a pesé sur les pratiques des thérapies, des accompagnements individuels et de la médiation traditionnelle. Il a renforcé des logiques d’accusation et de disqualification.

Un modèle interprété comme dramatisation et dissuasion

Le triangle dramatique peut servir à observer, mais il porte son travers d’usage : il sert à classer. Il est devenu un outil d’alerte comportementale. Chaque rôle a été surinterprété. La victime peut être considérée comme manipulatrice, le sauveur dominateur, le persécuteur pervers. Le modèle est mobilisé pour justifier des procédures, parfois jusqu’à l’exclusion.

Cette dérive empêche la co-construction. Elle empêche la régulation. Elle installe la suspicion. Elle rigidifie la relation.

Un outil capté par les institutions : prévention, suspicion et disqualification

Les institutions ont intégré ce triangle dans leurs outils RPS. Il sert à détecter les rôles à risque. Il devient un prisme de lecture standardisé. La médiation qui en fait usage s’en trouve biaisée. L’intervention est justifiée par l’attribution de rôles figés. On perd de vue l’ajustement préconisée par l’ingénierie systémique relationnelel. On catégorise sans contextualiser. Cela génère de la défiance et de la désolidarisation.

Une médiation instrumentalisée et dépolitisée

Quand le triangle dramatique gouverne la lecture, la médiation devient un rituel. Elle ne permet plus une parole contributive. Elle valide une assignation. Elle cherche à neutraliser, non à ajuster. Ce n’est plus une recherche d’entente, mais une procédure d’endiguement. La logique du triangle produit un effet de gel. On maintient chacun dans un rôle. On efface la possibilité de transformation partagée.

La logique victimaire dans la loi française

Dans ce contexte, l’article L.1152-1 du Code du travail, promulgué en 2002, repose sur une conception asymétrique. La souffrance perçue légitime le déséquilibre. La plainte devient preuve et la procédure pénale prend le pas. Le mythe légalisé de la triangulation dramatique renforce cette vision. Il transforme la plainte en statut, et le statut en arme. Le conflit devient irréversible. Le rôle de médiation est disqualifié.

L’ajustement devient impossible. Le symptôme domine la relation. Il est temps de proposer une alternative.

L’ingénierie systémique relationnelle ouvre une autre voie. Elle propose une lecture active et structurée. Elle s’appuie sur les écarts ajustables, non sur les intentions figées.

Conclusion : dépasser les modèles hérités

Karpman, Maslow, Girard appartiennent à une culture de la fixation. Leurs modèles rassurent. Mais ils prolongent une tradition dualiste. Ils freinent la pensée dynamique.

Une rupture devient nécessaire. Cette rupture de conception invite à rétablir une lecture co-régulatrice des tensions. Elle favorise la liberté d’action.

Dépasser le triangle dramatique, c’est revisiter un paradigme pour créer une rupture épistémologique. C’est inscrire les interactions humaines dans une dynamique vivante, présente et structurée. C’est refuser les récits figés pour entrer dans une culture de l’ajustement. C’est repositionner la qualité relationnelle comme un levier d’une nouvelle culture collective. C’est rendre aux organisations leur capacité à intégrer les écarts comme leviers d’innovation relationnelle.

Notre époque a de multiples aspects géniaux sur le plan technologique. Il est opportun de faire évoluer les mentalités. La posture ajustative devient un principe stratégique. L’ingénierie systémique relationnelle® en fournit l’ossature. Elle incarne une modernité consciente de ses interdépendances. Elle répond aux tensions du réel par la structure d’une pensée relationnelle. Elle transforme les postures fixes en dynamiques d’écoute et d’action. Elle convertit le soupçon en reconnaissance. Elle remplace la catégorisation par l’observation des rythmes, des potentiels et des intensités. Elle donne à la médiation une pleine portée de soutien à l’exercice renforcé de la liberté, en instrumentant la culture de l’apprentissage de la qualité relationnelle, autant avec soi qu’avec autrui.

Il ne tient qu’à nous d’en faire un usage cohérent avec notre époque.

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