3 mystifications en formation managériale : Maslow, Karpman, Kubler-Ross

3 mystifications en formation managériale : Maslow, Karpman, Kubler-Ross

Dans le domaine des formations managériales, certaines représentations sont admises comme allant de soi. Elles sont enseignées et relayées, parfois sans discernement, tant par les consultants que par les enseignants issus des grandes écoles. Ces modèles bénéficient d’un crédit intellectuel largement usurpé, faute d’évaluation critique rigoureuse.

Ayant moi-même contribué à diffuser certains de ces concepts, je mesure aujourd’hui combien leur usage s’est opéré sans réelle vérification méthodologique. Quelques formateurs prudents soulignaient leur statut non scientifique, mais l’ensemble repose sur un flou théorique entretenu par une tolérance excessive à l’égard de l’imprécision. Le rejet de la rationalité argumentée, souvent au nom de l’« ouverture d’esprit », a laissé place à une forme d’éclectisme permissif dans lequel toute critique méthodique est disqualifiée.

Je propose ici une analyse de trois modèles particulièrement problématiques.

1. La courbe du deuil (Elisabeth Kübler-Ross)

Initialement conçue pour décrire les réactions psychologiques de personnes confrontées à l’annonce d’une maladie incurable, cette courbe a été transposée, sans fondement, aux situations de changement en entreprise. Cette généralisation abusive repose sur un glissement conceptuel majeur : assimiler une annonce de décès à un changement organisationnel. En cela, elle constitue une rationalisation a posteriori de la résistance au changement.

La critique principale tient à l’absence de validité empirique dans cette transposition. Il n’existe aucun protocole de vérification démontrant que les étapes supposées du deuil s’appliquent aux transformations professionnelles. L’argument devient alors circulaire : toute réticence est interprétée comme un signe d’entrée dans la “courbe du deuil”, justifiant dès lors des pratiques managériales normatives voire manipulatrices.

2. La pyramide des besoins (Abraham Maslow)

Présentée comme une hiérarchisation universelle des besoins humains, cette pyramide repose sur une modélisation ethnocentrée, fortement influencée par un contexte socioculturel particulier, en l’occurrence celui de l’Amérique protestante du XXe siècle.

Or, les besoins humains ne suivent pas nécessairement une hiérarchie linéaire. Leur ressenti, leur ordre d’apparition et leur interaction varient fortement selon les cultures, les situations et les individus. De nombreuses études anthropologiques et sociologiques l’ont démontré. La représentation pyramidale fige des processus adaptatifs complexes dans un modèle simplificateur, devenu obsolète et trompeur, y compris dans son pays d’origine.

3. Le triangle dramatique (Stephen Karpman)

Ce modèle postule l’existence de rôles fixes — victime, persécuteur, sauveur — dans les interactions conflictuelles. Il est largement utilisé dans les formations en communication et en prévention des risques psychosociaux, souvent sans mise en perspective critique.

Pourtant, ce modèle repose sur une lecture essentialiste et psychologisante des comportements relationnels, sans base empirique solide. Il simplifie à l’extrême la dynamique des interactions et favorise des interprétations projectives, sujettes à de nombreux biais. L’assignation de rôles préétablis, sur la base d’indices comportementaux flous, conduit à des dérives interprétatives et à une méfiance systémique, peu compatible avec une approche rigoureuse de la relation humaine.

Conclusion

Ces trois modèles partagent plusieurs traits communs :

  • Une absence de validation scientifique probante.

  • Une facilité de diffusion liée à leur apparente simplicité.

  • Une fonction normative masquée sous des prétentions explicatives.

Ils relèvent davantage de constructions idéologiques que d’outils méthodologiques, sinon de biais de temporalité contextuelle. Leur usage massif en formation managériale devrait être reconsidéré à l’aune de critères de validité, de falsifiabilité et de transférabilité contextuelle. En l’état, leur perpétuation contribue à une confusion entre savoirs établis et croyances populaires.

Ces trois leurres présentées comme des vérités dans la plupart des formations au management sont des hontes intellectuelles. Elles sont absurdes, et mêmes ridicules. Maintenant que l’on a un peu avancé dans la qualité du raisonnement. il serait temps que les consultants et formateurs s’actualisent et cessent de les véhiculer.

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Commentaires (4)

  • Magnin

    Bonjour.

    J’ai relevé votre opposition au triangle de Karpman. Je souhaiterais que vous l’étayez plus.
    En effet, j’ai une défiance assez forte à tout ce qui relève des “vérités” véhiculées dans le champ du management.
    Mais se défier est une attitude peu scientifique. Il me manque des billes.
    Si vous avez des lines vers des sources, je vous en saurais gré.

    Bien cordialement

    22 novembre 2016 - 22 h 27 min
    • Jean-Louis Lascoux

      Regardez la vidéo sur l’extrait du film ” oui mais ” dans l’article. La démonstration est éloquente. Cela dit, à l’occasion de mes formations, tous ces modèles sont démontés de sorte que les médiateurs professionnels ne se laissent pas leurrés par les discours psychos.

      23 novembre 2016 - 9 h 50 min
  • Edline

    Bonjour,
    vous ne permettez pas de faire comprendre votre opposition à ces 3 outils. Ce qu’on comprend bien par contre, c’est votre colère, bien que l’on ne sache pas vraiment ce qui l’a généré. La frustration, c’est indéniable, mais vous ne nous donnez pas les moyens de comprendre pourquoi remettre ces outils en cause. Je suis preneur de toute information à ce sujet car je cherche des moyens plus performants pour faire passer des idées.
    Merci.

    2 mai 2018 - 9 h 47 min
    • Jean-Louis Lascoux

      Vous allez vite en interprétations et en présupposés dans votre manière d’aborder ce que j’écris. Relisez à tête reposée, après avoir digéré le premier impact de disqualification de ces “outils” et vous aurez votre réponse, sans doute… enfin, peut-être

      28 août 2018 - 8 h 06 min

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